Je suis médecin. Généraliste. J'ai
déjà raconté à quel point les sages-femmes avaient contribué à ma formation dans le domaine de la périnatalité. Aujourd'hui encore elles comptent énormément pour moi, que ce soit comme collègues de travail à la maternité, ou comme professionnelles m'accompagnant pour mes grossesses et mes accouchements. J'ai beaucoup d'estime pour leurs compétences spécifiques et leur regard si particulier sur la naissance.
Alors quand
Dix Lunes a mis sur Twitter le lien vers
cet article d'Odile Buisson, vous comprendrez aisément que mon sang n'ait fait qu'un tour...
Le début de son texte fait un constat, juste au demeurant, celui de la disparition progressive des gynécologues médicaux ; c’est à la fin du troisième paragraphe que sa plume dérape. A partir de là, elle propose une vision réductrice et corporatiste du suivi des femmes ; à l’en croire, seuls les gynécologues médicaux seraient aptes à assurer ce suivi, et leur disparition sonnera le glas de ce qu'elle appelle "la médecine génésique".
Son propos est insultant vis-à-vis des sages-femmes, qui bien que de formation différente, sont parfaitement aptes à assurer le suivi d’une femme en bonne santé, et à l’orienter vers un spécialiste si nécessaire.
Quant aux généralistes, elle n’en parle même pas, en réponse à sa question "Dès lors, vers qui se tourner ?" Elle semble ignorer que de nombreux généralistes assurent le suivi gynécologique des femmes dont ils sont le "médecin de famille". Eh oui madame, nous aussi, petits généralistes, sommes capables de conseiller une contraception, réaliser un frottis ou poser un DIU. De même que nous sommes tout à fait aptes, contrairement à ce que pensent certains pédiatres, à suivre le calendrier vaccinal...
Elle mentionne ensuite une étude selon laquelle les femmes "plébiscitent" leur gynéco... Ce n'est pas ce qui ressort de la plupart des conversations que j'ai pu avoir sur le sujet, que ce soit avec mes patientes ou des copines de forums, réseaux sociaux, etc...
J'ai quand même régulièrement l'impression que les femmes "subissent" ce suivi parce qu'on leur inculque dès l'adolescence qu'il FAUT être suivie par un(e) gynéco - qui parfois imposent d’ailleurs à leurs patientes un
suivi excessif au regard des recommandations.
Aller se mettre à poil tous les ans, subir un examen plus ou moins (souvent moins) délicat, encaisser des réflexions sur le poids, le mode de vie... Je conseille à Odile Buisson d'aller lire ce
billet corrosif mais salutaire de Daria Marx, pour avoir une idée de ce qui se passe dans la "vraie vie".
Combien de fois, en consultation prénatale, ai-je vu des jeunes femmes ayant esquivé tout suivi suite à un premier examen gynéco traumatisant, parce qu'imposé (
bien qu'inutile) et pas expliqué à l'occasion d'une première prescription de pilule?
Elle cite ensuite Elisabeth Badinter et dénonce comme elle une soit-disant nostalgie du
c’était mieux avant : "retour de l'accouchement physiologique", "exhortation culpabilisante à l'allaitement maternel"...
D’une part, je ne suis pas sûre que cela corresponde à la réalité du terrain : l’accouchement médicalisé, sous péridurale, en position gynécologique (
= position pratique pour " l’accoucheur ", pas pour la femme, loin s’en faut !) reste largement majoritaire ; quant à l’allaitement maternel, si le nombre de
bébés allaités à la naissance est de l’ordre de 70%, la moitié de ceux-ci sont allaités moins de 3 mois, un quart entre 3 et 6 mois, et un quart plus de 6 mois ; et ce, avec d'importantes variations en fonction des régions et des catégories socio-professionnelles. Pas tout à fait conforme aux recommandations de l’
OMS et de la
HAS !
Mon hypothèse est que, comme Elisabeth Badinter, elle évolue dans un microcosme " bobo " qui biaise sa vision des choses (
son cabinet se trouve à Saint-Germain-en-Laye…) - et j'écris ceci en ayant tout à fait conscience que mon propre environnement est "hors normes" dans ces domaines ! ;-)
Au final ce qui me gêne le plus dans son discours comme dans celui d’Elisabeth Badinter, c’est ce côté
on sait mieux que vous ce qui est bon pour vous, les femmes, qui va totalement à l'encontre de ce que représente pour moi le féminisme. Comme si on ne pouvait pas réfléchir, et choisir, par nous-mêmes...
D’autre part, je ne vois pas en quoi un accouchement physiologique serait un "accouchement au rabais" !
Bien au contraire…
A mon sens l'accouchement
au rabais, c'est justement celui auquel elle a tant l'air de tenir : hypermédicalisé et monitoré, femme sous contrôle, sur le dos les pattes en l'air et "poussez madame même si vous sentez plus rien avec la péridurale, c'est pour votre bien qu'on fait comme ça"... C’est cette femme à qui, après 16h de travail épuisant, forceps et épisiotomie compris, l’obstétricien lâche un "Vous avez poussé comme une mauviette" méprisant… Ou cette autre chez qui on déclenche l’accouchement le jour où ça arrange l’obstétricien, et à qui la sage-femme demande, au moment de l’enfantement, d’arrêter de pousser le temps qu’on appelle l’obstétricien ! (
vécu par une de mes copines dans une clinique de région parisienne…)
Pour moi un accouchement qui se passe bien, et c’est heureusement la très grande majorité des naissances, EST l'essence même de la compétence des sages-femmes. En outre, la naissance physiologique aujourd’hui, grâce aux préparations à la naissance dans toute leur diversité (
travail corporel, sophrologie, haptonomie, chant prénatal, acupuncture…) n’a plus grand-chose à voir avec le
tu enfanteras dans la douleur de nos mères-grands ; si en plus, on a la chance d’avoir un accompagnement humain de qualité… (
une femme, un(e) sage-femme , slogan ô combien d’
actualité…)
Son extrapolation sur l'espérance de vie en lien avec la "médecine des femmes" me paraît pour le moins hasardeuse... Sur quelles études épidémiologiques se base-t-elle pour l’affirmer?
Elle n'évoque pas pas en revanche la mortalité maternelle périnatale, 2 fois moins élevée en Suède ou en Norvège qu'
en France, alors qu'on y respecte davantage la physiologie de la naissance... Cherchez l'erreur!
Elle conclut avec un pompeux "Les femmes ne sont pas des citoyens de seconde classe". Qu'elle et ses collègues cessent alors de nous infantiliser, de nous dénier toute possibilité de réflexion personnelle et de nous imposer le suivi, la vision des choses qui les arrange, EUX.
Bref, si on veut parler au nom "des femmes" il faut, à mon humble avis, avant tout leur reconnaître des capacités de réflexions, de choix documenté... et surtout ne pas choisir pour elles !
Post-scriptum :
Je n'ai pas de conflit personnel avec un(e) gynéco, celle qui me suit est une femme douce, pleine de diplomatie et d'empathie. N'empêche que pour mes grossesses j'ai choisi d'être suivie par une sage-femme, de même que pour mes accouchements je choisis de pouvoir me mobiliser et adopter la position qui me conviendra (dans le cadre sécurisant d'une mater' de niveau 2, quand même, des années de conditionnement hospitalier...) ; de même que j'ai choisi en toute conscience d'allaiter (longtemps) mes enfants, et de travailler à temps partiel pour consacrer plus de temps à leur petite enfance. Cela fait-il de moi une rétrograde moyennâgeuse?
Je ne le crois pas, du moment que je laisse cette même liberté aux femmes que je suis amenée à suivre ; je les informe pour qu'elles fassent des choix éclairés, sans chercher à imposer mon point de vue. N'est-ce pas là le minimum du respect que l'on doive à ses patientes, Dr Buisson?
Quand l'article d'Odile Buisson est paru, nous avons été nombreux(ses) à réagir. Très vite, au fil d'échanges sur Twitter, est venue l'idée d'une réponse groupée.
Ce texte s'inscrit dans une démarche partagée avec Dix Lunes et la Poule Pondeuse ; chaque texte est individuel et rédigé en fonction de nos sensibilités personnelles. Néanmoins, femmes, médecin, sage-femme, nous partageons toutes une certaine idée de ce que pourrait (devrait?) être le suivi des femmes et la prise en charge de la naissance en France.