...ou comment certains patients me laissent désemparée.
Alice a 31 ans. C'est une nouvelle patiente du cabinet du Dr Alabourre, fluette et juvénile avec sa queue de cheval et ses grosses lunettes.
Elle vient pour le suivi de sa troisième grossesse, elle a déjà une fille de 12 ans et un petit garçon de 18 mois. Elle a un accent cauchois à couper au couteau, passe sans avertissement du vouvoiement au tutoiement. Elle vit depuis peu dans un foyer d'accueil mère-enfant.
On fait le point sur son dossier médical, sérologies, échographies... Je pose la question des antécédents, elle me dit qu'elle "fait de la tatycardie, c'est de famille, mon père a l'angine de la poitrine".
Elle m'explique aussi pourquoi elle a quitté son conjoint : "J'ai parti du père passqu' i m'aurait tapé s'il aurait su qu'j'étais enceinte, et aussi mon fils".
Tout en continuant à discuter, je passe à l'examen clinique : pesée, pression artérielle, mesure de la hauteur utérine. Et là elle me demande : "A quoi çô sert qu'tu m'sures de la nénette au nombril?" J'explique, je prends le Doppler foetal en disant qu'on va écouter le coeur du bébé ; on entend un beau petit galop, je dis "parfait", et elle : "Ohlala moi j'y comprends rien à ça!"
On revient s'asseoir au bureau, elle me réclame du Forlax parce qu'elle est constipée "depuis des années, rapport à un viol que j'ai eu".
Elle veut aussi, pour son fils, une ordonnance pour réaliser une carte de groupe sanguin. J'exprime ma surprise, elle commence par dire que c'est la crèche qui réclame, puis m'avoue que c'est parce qu'elle pense que le père biologique n'est pas son conjoint de l'époque, parce qu'elle a "connu" quelqu'un d'autre et qu'à la maternité ils lui ont dit que son fils ne pouvait pas être de son conjoint à cause du groupe sanguin (sic).
Je lui propose de la revoir avec son fils le lendemain, parce qu'on avait déjà très largement débordé sur l'horaire de la consultation suivante, et qu'avec les trésors de pédagogie à déployer pour lui expliquer des choses simples je sentais que j'aurais besoin de temps...
Elle revient le lendemain avec le fiston. Elle commence par sortir un résultat de groupe sanguin le concernant ; il est B, elle est AB, tout va bien, je ne vois pas comment conclure quoi que ce soit quant à la paternité supposée du petit. "Oui, mais comme y'a qu'une détermination c'est pas sûr!", me répond-elle.
Je demande s'il a des problèmes de santé:
"Non, sauf que des fois il fait des convulsions.
- Ah quand même, c'est quand il a de la fièvre?
- Ben nan, c'est quand on le force à dormir, i'veut pas alors à force de pleurer il s'étrangle et il devient tout mou*. Alors on est obligés de le secouer pour qu'i'r'vienne."
Et là, je n'ai pas pu m'en empêcher, je crois que j'ai presque crié :
"Ah non, mais faut pas le secouer, hein!"
Au temps pour la pédagogie...
* ce qu'elle décrit est très évocateur de spasme du sanglot, pour les non-initiés à ce problème spectaculaire mais rarement grave pour l'enfant - contrairement aux convulsions.
Fatch' ! Assez déconcertant !
RépondreSupprimerTu cumules en ce moment : les coups de fils, les courriers et même les consult' de la fin d'année ne t'ont pas fait de cadeaux !
Celle-ci date déjà de plusieurs mois. C'est juste qu'elle est revenue me trotter dans la tête, comme d'autres que je raconterai prochainement.
RépondreSupprimerOMG !!!
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