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samedi 27 août 2016

Ceux qui nous hantent

C'était un petit garçon au regard triste. Un petit garçon qui doit maintenant être un jeune adulte.

J'étais FFI, faisant fonction d'interne, en hépatologie ; c'était un stage formateur, parce que j'y étais bien encadrée, mais dur, parce que les pathologies du foie ne sont pas jolies-jolies. Des cirrhoses, des cancers - le foie, en tant que voie de passage, faisant un excellent terrain pour les métastases - , des maladies rares qui auraient déconcerté le docteur House.

C'était un petit garçon trop sage, qui venait rendre visite à sa maman hospitalisée.

D'elle, je garde le souvenir d'une petite femme tout grise, taciturne ; elle décompensait pour la première fois une cirrhose très évoluée mais jusque là méconnue. Je ne sais plus pourquoi et comment elle n'avait pas été diagnostiquée plus tôt : déni, problème d'accès aux soins? 
Dans ma tête de tout jeune médecin je ne comprenais pas comment son entourage et son médecin généraliste avaient pu ne pas voir ce qui me paraissait évident - j'ai un peu grandi depuis et je sais maintenant que ce n'est pas toujours si simple.

C'était aussi un couple un peu cabossé. Ils avaient eu un enfant à un âge où ils pensaient ne plus devoir se soucier de contraception - elle 45 ans, lui près de 70. Elle était très gravement malade, il était dépassé. 
Compte-tenu de la situation familiale et du pronostic catastrophique, l'assistante sociale avait rencontré le père. Il ne savait pas faire marcher le lave-linge ; alors, pour que son petit garçon n'aille pas à l'école avec des vêtements sales, il lui en rachetait des neufs presque tous les jours. C'était à la fois absurde et poignant.

C'était un petit garçon au regard éteint, un orphelin en puissance. Il me reste de lui ce détail trivial de linge, et son image, quittant le service à pas lents, la main dans celle d'un vieil homme aussi perdu que lui.

jeudi 1 octobre 2015

L'urgence, elle est pas très urgente

(Si jamais la référence vous échappe, c'est )  

Jeudi, 15h45, téléphone

"Allô, je voudrais un rendez-vous ce soir, c'est pour ma fille qui a la gastro...
- Il me reste un créneau à 19h.
- (indignée) Han, vous avez pas plus tôt?
- (agacée) Bah non madame, déjà j'ai de la place ce soir, c'est pas le cas dans la plupart des cabinets médicaux des environs.
- Pffff, c'est que ça va faire tard, quand même...
- Bon, reprenons... Quel âge a votre fille?
- 3 ans 1/2
- Et quels sont ses symptômes?
- C'est l'école qui a appelé ce midi pour dire qu'elle avait la gastro. Mais bon, je crois pas trop, elle a juste sali sa culotte en fait.
- Et là, elle va bien?
- Oui, elle est en pleine forme. Mais si je veux la remettre demain à l'école il faut que je sois allée chez le médecin!"

Poin poin poin.

J'ai fait mon laïus sur la non-nécessité de fournir des certificats médicaux à l'école et l'ai rassurée en disant que si son bon sens de mère lui disait que sa fille pétait le feu, c'est qu'elle n'était pas vraiment malade.
Mais quand même, on marcherait pas un peu sur la tête, des fois?

********************

Jeudi, 17h50, téléphone

"Allô, je voudrais un rendez-vous ce soir, je viens de récupérer mon fils, il a 38,5°C, il est HS...
- Depuis quand il a de la fièvre?
- Oh, depuis aujourd'hui, hier il avait juste un peu mal à la gorge.
- Et quel âge il a?
- Il a 15 ans 1/2, mais vraiment il est HS.
- Ok, on va peut-être se donner un peu de temps avant de consulter, qu'il se repose bien, qu'il prenne du paracétamol...
- Oui mais, il est à LycéeTrèsCoté, vous croyez qu'il pourra y aller demain?
- Ben non, puisqu'il faut qu'il se repose! Et que je le voie ce soir n'y changera rien... S'il a toujours de la fièvre samedi, vous pourrez l'amener à la consultation libre."

********************

Vendredi, 8h50, téléphone

"Allô, je voudrais savoir s'il y a des consultations libres aujourd'hui.
- Oui, ce soir, de 17 à 19 heures.
- Ah... Et vous avez des rendez-vous ce matin?
- Oui, j'ai une place à 11 heures.
- Pffff, nan, j'peux pas, j'vais essayer de trouver un autre médecin!
- EH BEN BON COURAGE MONSIEUR!"


********************

C'est moi, ou le bon sens s'est perdu en cours de route?
 
 

samedi 22 novembre 2014

Il n'est pire sourd...

Monsieur Poumon a 57 ans. Il y a un an sa femme l'a amené en consultation parce qu'il "débloquait". Il était confus, a essayé d'attraper ma langue quand je lui ai demandé de me tirer la langue ; je l'ai envoyé aux urgences.
En fait il était en hyponatrémie* sévère, et il n'a pas fallu longtemps à partir de là pour lui trouver un cancer pulmonaire. Un bien méchant, et dont on ne peut même pas blâmer le tabac. Juste pas de chance. Et un pronostic effroyable, de l'ordre de 2% de survie à 5 ans.
Il a bien répondu à la première chimiothérapie, puis à la deuxième, puis à la troisième... À chaque fois les lésions régressaient, puis reprenaient quelques semaines plus tard, s'étendant dorénavant au foie ; à chaque fois le premier signe d'alerte était l'hyponatrémie.
Je l'ai revu hier, entretemps il voyait mon #VieilAssocié qui est son médecin traitant officiel. De nouveau un peu confus, ailleurs. 
Et son épouse, très en colère. Lors de la dernière consultation le pneumologue leur a dit que tout était bien, et là ça recommence, c'est pas possible, elle veut un autre avis, à Villejuif s'il le faut, et puis ça fait 25 ans qu'il a pas touché une cigarette...
Je ne peux pas croire, le connaissant, que le pneumologue ne leur ait pas donné plus d'explications quant au pronostic et l'évolution de ce type de cancer ; mais elle continue à croire qu'il pourrait guérir si on se donnait la peine de chercher un autre traitement, même expérimental. 

Monsieur Prostate a 70 ans. Il a un cancer de la prostate multi métastatique, actuellement en échec thérapeutique. Il est dorénavant en soins palliatifs à domicile. 
Ce midi sa femme m'a appelée : sur la prise de sang demandée par l'oncologue, le taux de PSA** a encore augmenté, elle voudrait que je passe pour donner un médicament pour le faire baisser...

La force du déni de ces deux femmes m'impressionne, et m'attriste. Est-ce un moyen de survivre, de faire face? 
Ou est-ce lié à notre façon, nous soignants, de communiquer? Qu'est-ce qui est réellement entendu de nos mots, même quand nous estimons avoir été limpides?
Comment dire l'indicible, comment entendre l'insoutenable?

Les réponses me manquent. Et ça donne des situations extrêmement délicates à gérer.




Pour mes lecteurs non médecins ;-) 
* : manque de sodium dans le sang
** : antigène spécifique de prostate, marqueur du cancer (très très imparfait pour le dépistage, soit dit en passant)

vendredi 22 novembre 2013

Moi, Schtroumpf grognon...

Quand j'ai découvert le cabinet de PetitBourg et la façon de travailler du Dr VieilAssocié, je m'étais dit que, certes, le bureau était vieillot et mal organisé, mais qu'au moins il était informatisé ; et que les ordonnances de ses patients âgés ne semblaient pas surchargées de médicaments inutiles voire nocifs, contrairement à ce que j'avais pu voir dans certains cabinets où j'avais remplacé. 

Mais petit à petit je cerne mieux sa façon de travailler, et les petites choses qui me gênent/me choquent/m'énervent s'accumulent. Et me font râler façon Schtroumpf grognon...

Par exemple, les ordonnances pour les rhinopharyngites, toujours  EXACTEMENT identiques, avec un AINS, un corticoïde nasal et un "fluidifiant” (toujours les mêmes molécules, et jamais de paracétamol, ou presque) ; le corollaire étant que les patients d'automédiquent à tort et à travers avec les restes de cet AINS.

La prise de tension, qui se fait systématiquement debout - les patients sont très surpris que je leur demande de s'allonger.

Les carnets de santé des enfants, jamais demandés, jamais remplis. Et du coup, presque toujours oubliés par les parents.

Le dossier informatique qui contient, certes, les ordonnances, les résultats de biologie et les courriers des spécialistes, mais aucune donnée d'interrogatoire, ni d'examen clinique : le compte-rendu de consult se résume à son motif. 

Et puis, moins fréquent mais plus grave, les ordonnances WTF : les doublons (deux somnifères chez une dame de 90 ans, deux IEC chez une autre du même âge, deux sulfamides hypoglycémiants chez une troisième - oui, on vit longtemps à PetitBourg - , deux anti émétiques apparentés aux neuroleptiques...)
Le traitement pour les condylomes réservé à l'adulte et prescrit à un ado pour des molluscums. Un traitement amœbicide prescrit à l'occasion d'une "gastro entérite aiguë".

Je ne dis pas qu'il est mauvais, je ne dis pas non plus que je ne me plante jamais. Simplement certaines choses me sautent aux yeux et me pèsent au quotidien.
Et je ne sais pas comment réagir : serrer les dents et attendre qu'il prenne vraiment sa retraite? Essayer de lui en parler? Mais je ne suis pas très forte en diplomatie, et crains un peu le sempiternel "ça fait 35 ans que je fais comme ça".

Et puis ça me fait peur pour l'avenir. Saurais-je continuer à me former, adapter ma pratique, ne pas camper sur mes certitudes ?  Mes remplaçants, dans 20 ou 30 ans, me trouveront-ils obsolète ?

Bref, j'aime pas cette situation.

jeudi 21 novembre 2013

Presque une brève de consult'

19h20, le téléphone sonne.

"Allô, est-ce que vous pouvez voir en urgence mon copain? Il a de la fièvre et des courbatures depuis cet après-midi, il est dans un état lamentable.
- Boah, ça ressemble à une grippe d'homme un virus grippal, vous savez, à part prescrire du paracétamol ou de l'ibuprofene, je ne vais pas faire grand chose ce soir...
- Oui mais il est allergique !
- À quoi ?
- Ben à tout."

Petite vérification dans le dossier, effectivement suspicion d'allergie au paracétamol, choc anaphylactique avec un salicylé... Le coup de "faut me voir ce soir mais t'façon vous pouvez rien me donner" c'est bien la première fois qu'on me le fait.

J'ai donc prescrit, par téléphone, une bouillotte, un grog et une nuit de repos, et proposé de le voir demain si ça ne va pas mieux. De la grande médecine !

jeudi 12 septembre 2013

Presque comme dans les livres

19h10, j'accueille la dernière patiente, la 17ème depuis 14 heures. Je suis un peu crevée, embrumée par un gros rhume, j'ai envie de rentrer chez moi retrouver mes enfants et mon mari.

Cette dame, quand elle a appelé vers 17 heures, j'ai failli lui donner un rendez-vous le lendemain, par envie de ne pas finir trop tard. Mais pour elle c'était compliqué, alors je lui ai donné le dernier créneau, en croisant les doigts pour ne pas devoir rajouter une urgence, un bébé fiévreux ou autre.

Elle a une petite soixantaine d'années, et les porte bien. Elle semble en pleine forme.

"Je viens vous voir parce que j'ai fait deux malaises un peu bizarres, dont un aujourd'hui."
(Ah crotte des malaises, pourvu que ce soit un truc vagal, au moins c'est facile à identifier.)
"Alors ça commence là, au creux de l'estomac, et ça monte derrière le sternum, et ça serre, ça serre, comme si j'étais dans un bloc de béton, et ça serre jusqu'à la mâchoire, et ensuite ça descend dans les bras, enfin surtout à gauche."
(Vous les voyez, tous les clignotants qui s'allument dans ma tête et les alarmes qui hurlent?) 
"J'ai essayé de respirer à fond, de me détendre, mais ça n'a rien changé. Enfin, ça passe au bout de 10 minutes, mais c'est très désagréable..."

Croyez-le ou non, elle n'avait pas du tout conscience d'être en train de me décrire une crise d'angine de poitrine digne d'un manuel de sémiologie. Et elle était très contrariée de ne pas pouvoir aller travailler demain, pour cause de rendez-vous cardio en urgence.

Bref, je suis contente de l'avoir vue ce soir. Même si du coup je n'ai croisé mes filles que 5 minutes avant qu'elles aillent se coucher. 


dimanche 1 septembre 2013

Somewhere, over the rainbow

Mme A. ressemble à un arc-en-ciel, avec une dominante de rose.
Tunique fleurie dans les tons framboise et mauve, rebrodée de fils argentés, collier à breloques, ongles soigneusement vernis de fushia pailleté - enfin, aux mains, car les ongles de ses orteils affichent pas moins de cinq couleurs différentes, assorties aux lanières de ses sandales compensées.

Et ce mélange improbable, chez elle, donne avant tout une impression de vie, de joie. Son petit accent italien et son humour y sont probablement pour beaucoup.

Elle vient pour renouveler ses médicaments, mais pas tous, parce que "celui pour le cholestérol, je ne le prends pas tous les jours" ; on décide ensemble d'arrêter le médicament contre l'arthrose, déremboursé et de toute façon pas très efficace.

Une consultation classique, en somme, mais comme l'impression d'un rayon de soleil dans ma journée.

Sur le pas de la porte, elle me dit "au revoir, docteur, j'ai été ravie de vous rencontrer. Je reviendrai vous voir en janvier, il me faut des médicaments contre le palu, on part au Burkina-Faso, comme tous les ans."

Mme A. va avoir 80 ans. Et c'est une délicieuse dame, qu'on n'aurait même pas l'idée de qualifier de "vieille".

mercredi 5 juin 2013

And so it begins...



Demain, ma troisième fille aura un an. Un an pendant lequel j'ai travaillé au ralenti, dans le cocon de la mater' : deux matinées par semaine, juste pour ne pas déconnecter du boulot tout en profitant de ma famille (ce qui inclut -hum- la gestion de la logistique de la maison, courses, linge, ménage, parce que c'est bien parce que mon mari bosse beaucoup que j'ai pu me permettre cette parenthèse).

Demain, mon dernier bébé aura un an, donc. Et il y a trois jours, après plus de 10 ans d'un parcours professionnel légèrement chaotique, j'ai "vissé ma plaque" (enfin techniquement elle n'est encore que collée...) Je suis donc "collaborateur libéral" d'un médecin bientôt retraité, qui voulait organiser la transition en douceur.

Pour l'instant je ne réalise pas complètement, je crois. J'ai du mal à me défaire du costume de remplaçante, d'autant plus qu'il est trop tôt pour que les gens viennent me voir, MOI, et pas seulement parce que leur médecin est absent. Mais je vous livre mes premières impressions "à chaud".

Mes consultations sont  encore parasitées par la gestion du logiciel, qui m'avait semblé d'une simplicité enfantine lors de la démo, et qui finalement n'est pas si intuitif ; peut-être aussi que les dossiers n'y sont pas renseignés de manière optimale, ça ne fait pas longtemps que le titulaire a changé de logiciel. Du coup je peine à avoir une vue d'ensemble.

Facteur aggravant, la disposition du cabinet fait que l'on tourne le dos aux patients quand on utilise l'ordinateur... Pas très motivant dès lors pour prendre le temps d'explorer le dossier.

Le cabinet, parlons-en... Pour l'instant, n'étant "que" collaboratrice, je ne me sens pas autorisée à y faire la révolution, mais son organisation pourrait concourir pour un record du monde d'anti-ergonomie ! On croirait que c'est une installation provisoire ...mais qui dure depuis 30 ans.
Le bureau lui même est minuscule, ce qui explique probablement pourquoi l'ordi est posé à côté sur un petit meuble à étagères, où on trouve, en vrac, le lecteur de carte vitale, une brosse à dents, les ordonnanciers, des abaisse-langue, le matériel pour faire des frottis...
Entre ce meuble et le bureau, l'imprimante-scanner, qui trône sur une table roulante métallique ; sur le plateau du bas, des compresses, pansements, antiseptiques... Tous ayant passé leur date de péremption depuis 2 à 5 ans. 
Au pied du bureau, un conteneur à aiguilles avoisine l'unique poubelle du cabinet ; compresses sanglantes ou papier, tout termine au même endroit...
La table d'examen est très basse, ce qui permet aux patients de s'y asseoir sans escalader un périlleux marchepied. Pour le dos du médecin qui les examine, en revanche, ça craint.
Il y a une deuxième table, pour la gynéco ; dessous, un carton débordant de vieilles revues de salle d'attente...

Donc matériellement, c'est hard. On est bien loin du cabinet idéal de Borée. J'avais perçu en le visitant que c'était vieillot, mais j'étais loin du compte...

Mais c'est pas grave. On peut changer tout ça, moderniser, optimiser.
Je vais prendre de l'assurance, prendre mes marques, apprendre à connaître les gens, et petit à petit remettre en question les médicaments "chroniques" qui chagrinent mon œil de Prescririenne. Ça va venir, même si pour l'instant ça me stresse pas mal.

Et ce qui compte vraiment, c'est qu'à terme j'y travaillerai avec une consœur et amie qui partage les mêmes valeurs que moi, et ça c'est inestimable.

Dans quelques heures maintenant, mon ultime bébé aura un an. Chouette moment pour prendre ce nouveau départ.





lundi 2 avril 2012

Sage-femme, mon amour

Je suis médecin. Généraliste. J'ai déjà raconté à quel point les sages-femmes avaient contribué à ma formation dans le domaine de la périnatalité. Aujourd'hui encore elles comptent énormément pour moi, que ce soit comme collègues de travail à la maternité, ou comme professionnelles m'accompagnant pour mes grossesses et mes accouchements. J'ai beaucoup d'estime pour leurs compétences spécifiques et leur regard si particulier sur la naissance.

Alors quand Dix Lunes a mis sur Twitter le lien vers cet article d'Odile Buisson, vous comprendrez aisément que mon sang n'ait fait qu'un tour...

Le début de son texte fait un constat, juste au demeurant, celui de la disparition progressive des gynécologues médicaux ; c’est à la fin du troisième paragraphe que sa plume dérape. A partir de là, elle propose une vision réductrice et corporatiste du suivi des femmes ; à l’en croire, seuls les gynécologues médicaux seraient aptes à assurer ce suivi, et leur disparition sonnera le glas de ce qu'elle appelle "la médecine génésique".

Son propos est insultant vis-à-vis des sages-femmes, qui bien que de formation différente, sont parfaitement aptes à assurer le suivi d’une femme en bonne santé, et à l’orienter vers un spécialiste si nécessaire.
Quant aux généralistes, elle n’en parle même pas, en réponse à sa question "Dès lors, vers qui se tourner ?" Elle semble ignorer que de nombreux généralistes assurent le suivi gynécologique des femmes dont ils sont le "médecin de famille". Eh oui madame, nous aussi, petits généralistes, sommes capables de conseiller une contraception, réaliser un frottis ou poser un DIU. De même que nous sommes tout à fait aptes, contrairement à ce que pensent certains pédiatres, à suivre le calendrier vaccinal...

Elle mentionne ensuite une étude selon laquelle les femmes "plébiscitent" leur gynéco... Ce n'est pas ce qui ressort de la plupart des conversations que j'ai pu avoir sur le sujet, que ce soit avec mes patientes ou des copines de forums, réseaux sociaux, etc... 
J'ai quand même régulièrement l'impression que les femmes "subissent" ce suivi parce qu'on leur inculque dès l'adolescence qu'il FAUT être suivie par un(e) gynéco - qui parfois imposent d’ailleurs à leurs patientes un suivi excessif au regard des recommandations.
Aller se mettre à poil tous les ans, subir un examen plus ou moins (souvent moins) délicat, encaisser des réflexions sur le poids, le mode de vie... Je conseille à Odile Buisson d'aller lire ce billet corrosif mais salutaire de Daria Marx, pour avoir une idée de ce qui se passe dans la "vraie vie".
Combien de fois, en consultation prénatale, ai-je vu des jeunes femmes ayant esquivé tout suivi suite à un premier examen gynéco traumatisant, parce qu'imposé (bien qu'inutile) et pas expliqué à l'occasion d'une première prescription de pilule?

Elle cite ensuite Elisabeth Badinter et dénonce comme elle une soit-disant nostalgie du c’était mieux avant : "retour de l'accouchement physiologique", "exhortation culpabilisante à l'allaitement maternel"...
D’une part, je ne suis pas sûre que cela corresponde à la réalité du terrain : l’accouchement médicalisé, sous péridurale, en position gynécologique ( = position pratique pour " l’accoucheur ", pas pour la femme, loin s’en faut !) reste largement majoritaire ; quant à l’allaitement maternel, si le nombre de bébés allaités à la naissance est de l’ordre de 70%, la moitié de ceux-ci sont allaités moins de 3 mois, un quart entre 3 et 6 mois, et un quart plus de 6 mois ; et ce, avec d'importantes variations en fonction des régions et des catégories socio-professionnelles. Pas tout à fait conforme aux recommandations de l’OMS et de la HAS !
Mon hypothèse est que, comme Elisabeth Badinter, elle évolue dans un microcosme " bobo " qui biaise sa vision des choses (son cabinet se trouve à Saint-Germain-en-Laye…) - et j'écris ceci en ayant tout à fait conscience que mon propre environnement est "hors normes" dans ces domaines ! ;-)
Au final ce qui me gêne le plus dans son discours comme dans celui d’Elisabeth Badinter, c’est ce côté on sait mieux que vous ce qui est bon pour vous, les femmes, qui va totalement à l'encontre de ce que représente pour moi le féminisme. Comme si on ne pouvait pas réfléchir, et choisir, par nous-mêmes...

D’autre part, je ne vois pas en quoi un accouchement physiologique serait un "accouchement au rabais" ! Bien au contraire
A mon sens l'accouchement au rabais, c'est justement celui auquel elle a tant l'air de tenir : hypermédicalisé et monitoré, femme sous contrôle, sur le dos les pattes en l'air et "poussez madame même si vous sentez plus rien avec la péridurale, c'est pour votre bien qu'on fait comme ça"... C’est cette femme à qui, après 16h de travail épuisant, forceps et épisiotomie compris, l’obstétricien lâche un "Vous avez poussé comme une mauviette" méprisant… Ou cette autre chez qui on déclenche l’accouchement le jour où ça arrange l’obstétricien, et à qui la sage-femme demande, au moment de l’enfantement, d’arrêter de pousser le temps qu’on appelle l’obstétricien ! (vécu par une de mes copines dans une clinique de région parisienne…)
Pour moi un accouchement qui se passe bien, et c’est heureusement la très grande majorité des naissances, EST l'essence même de la compétence des sages-femmes. En outre, la naissance physiologique aujourd’hui, grâce aux préparations à la naissance dans toute leur diversité (travail corporel, sophrologie, haptonomie, chant prénatal, acupuncture…) n’a plus grand-chose à voir avec le tu enfanteras dans la douleur de nos mères-grands ; si en plus, on a la chance d’avoir un accompagnement humain de qualité… (une femme, un(e) sage-femme , slogan ô combien d’actualité…)

Son extrapolation sur l'espérance de vie en lien avec la "médecine des femmes" me paraît pour le moins hasardeuse... Sur quelles études épidémiologiques se base-t-elle pour l’affirmer?
Elle n'évoque pas pas en revanche la mortalité maternelle périnatale, 2 fois moins élevée en Suède ou en Norvège qu'en France, alors qu'on y respecte davantage la physiologie de la naissance... Cherchez l'erreur!

Elle conclut avec un pompeux "Les femmes ne sont pas des citoyens de seconde classe". Qu'elle et ses collègues cessent alors de nous infantiliser, de nous dénier toute possibilité de réflexion personnelle et de nous imposer le suivi, la vision des choses qui les arrange, EUX.
Bref, si on veut parler au nom "des femmes" il faut, à mon humble avis, avant tout leur reconnaître des capacités de réflexions, de choix documenté... et surtout ne pas choisir pour elles !


Post-scriptum :
Je n'ai pas de conflit personnel avec un(e) gynéco, celle qui me suit est une femme douce, pleine de diplomatie et d'empathie. N'empêche que pour mes grossesses j'ai choisi d'être suivie par une sage-femme, de même que pour mes accouchements je choisis de pouvoir me mobiliser et adopter la position qui me conviendra (dans le cadre sécurisant d'une mater' de niveau 2, quand même, des années de conditionnement hospitalier...) ; de même que j'ai choisi en toute conscience d'allaiter (longtemps) mes enfants, et de travailler à temps partiel pour consacrer plus de temps à leur petite enfance. Cela fait-il de moi une rétrograde moyennâgeuse?
Je ne le crois pas, du moment que je laisse cette même liberté aux femmes que je suis amenée à suivre ; je les informe pour qu'elles fassent des choix éclairés, sans chercher à imposer mon point de vue. N'est-ce pas là le minimum du respect que l'on doive à ses patientes, Dr Buisson?



Quand l'article d'Odile Buisson est paru, nous avons été nombreux(ses) à réagir. Très vite, au fil d'échanges sur Twitter, est venue l'idée d'une réponse groupée. 
Ce texte s'inscrit dans une démarche partagée avec Dix Lunes et la Poule Pondeuse  ; chaque texte est individuel et rédigé en fonction de nos sensibilités personnelles. 
Néanmoins, femmes, médecin, sage-femme, nous partageons toutes une certaine idée de ce que pourrait (devrait?) être le suivi des femmes et la prise en charge de la naissance en France.

mardi 20 mars 2012

Mauvaise foi officinale

Visite à domicile, chez une charmante dame de 94 ans, à peu près bon pied bon oeil, nonobstant un "petit" infarctus du myocarde récent, suivi d'un épisode d'arythmie et d'insuffisance cardiaque congestive, qui lui a valu un séjour à l'hôpital ; le cerveau, en revanche, n'a rien perdu de sa vivacité voire de son espièglerie.

Lorsque j'ai fait sa connaissance il y a quelques mois, elle n'avait sur son ordonnance qu'un seul médicament, un antihypertenseur qu'elle ne prenait pas tous les jours "parce qu'elle avait lu la notice et qu'elle se méfiait des effets secondaires". Depuis ses mésaventures cardiologiques, trois nouveaux médicaments ont fleuri sur son ordonnance.
Bien qu'elle n'aime toujours pas les médicaments, elle semble décidée à suivre son traitement, parce qu'elle n'a pas très envie de retourner à l'hôpital, "au milieu de tous ces vieux grabataires".

J'y allais pour la première fois depuis sa sortie de moyen séjour, pour renouveler l'ordonnance. Trandolapril, warfarine, bisoprolol, furosémide. Logique et sans fioritures.
Et là, que vois-je? Un ajout manuscrit lors du passage à la pharmacie, à côté de la ligne "warfarine", comme lors des substitutions par un générique. Sauf que l'amiodarone (anti arythmique) est tout sauf le générique de la warfarine (anticoagulant)... Un peu scotchée, je retourne l'ordonnance, et la liste imprimée me confirme que l'amiodarone remplace la warfarine de ce côté-là aussi. Gloups.
Par un miracle inexpliqué, c'est pourtant le bon médicament qui a été délivré à la patiente. Tout est bien qui finit bien ; fin des sueurs froides.

Je décide quand même d'appeler la pharmacie, histoire de signaler la boulette.  On me passe la pharmacienne, j'explique le problème :
"Ah mais c'est pas chez nous!
- Vous n'êtes pas la pharmacie Untel?
- Si-si, mais... C'est quoi le nom de la patiente déjà?
- Mme VieilleDame, Colette.
- Ah oui, mais on lui a délivré de la warfarine.
- Oui, et heureusement, mais vous comprenez qu'en voyant l'ordonnance je me suis inquiétée, donc je voulais vous le signaler.
- ... Mais j'étais absente ce jour-là, c'était mon assistante. Peut-être qu'elle a confondu Coumadine* et Cordarone* ? [noms commerciaux des médicaments concernés]
- Ce serait étonnant, ce n'est pas une ordonnance manuscrite.
- Ah... (gros blanc) Bon ben je lui dirai, hein."

Donc, chère madame Pharmacienne, l'excuse "c'est pas moi c'est la stagiaire/l'assistante", on me l'a déjà faite. Le jour où un patient s'est endormi au volant après avoir pris 6 comprimés de tétrazépam par jour, parce que "la stagiaire" avait confondu Miorel* et Myolastan*. Heureusement les dégâts se sont limités à de la tôle froissée.
Mais je trouve ça un peu léger, de se défausser sur les autres.



PS : juste pour que ce soit clair ;) je ne cherche pas à déclencher une bataille rangée médecins/pharmaciens. Je côtoie sur Twitter des pharmaciens dont je ne mets pas en doute la compétence, et je connais des médecins à fuir. 
Il m'arrive certainement aussi de faire des erreurs, et je ne demande pas mieux que d'avoir des retours sur mes "boulettes". Pour pouvoir progresser.

mardi 3 janvier 2012

Les cumulardes (2) : Hélène

Hélène a 21 ans. Je la vois pour la première fois à la maternité, pour la première consultation prénatale, dite "d'ouverture de dossier", qui se fait généralement au début du 4e mois (au 3e quand elles ont pris rendez-vous dès que les 2 bandes bleues sont apparues sur le test-pipi...)
C'est une jeune femme qui semble au premier abord un peu fruste. En jogging informe, cheveux coupés à la diable, elle répond par monosyllabes à mes questions. 

Oui, elle est en couple, mais vit chez sa mère.
Non, elle n'a pas très envie de parler du géniteur. Ce qu'elle explique par le fait qu'il est maghrébin et que ça ne lui plairait pas qu'on en sache trop sur lui (je précise qu'on demande âge, poids, taille, groupe sanguin...)
Non, y'a pas de problèmes de santé dans sa famille. Enfin juste les yeux. "Un truc avec les pigments". Une rétinite pigmentaire? "Ah ouais, c'est ça". Quand même.
Non-non, elle n'a jamais eu de problème de santé, pas de souci particulier dans son enfance, son adolescence.
Non, elle n'a pas de suivi gynéco (mais à son âge c'est pas la fin du monde).
On vérifie le groupe sanguin, les sérologies, toxo, rubéole, VIH, pas de souci de ce côté là.

Fin du recueil de ce que notre logiciel appelle "renseignements généraux". Je n'ai toujours pas réussi à créer avec elle de véritable contact, et ce n'est pas habituel à ce stade de la consultation. Habituellement au fil de l'interrogatoire de petites digressions permettent de détendre l'atmosphère, d'ouvrir le dialogue ; là, rien.


Je passe à la partie plus "concrète", ce qui concerne directement la grossesse. Elle se plaint d'avoir des nausées, son médecin traitant lui a prescrit de la dompéridone, ça l'aide un peu. 
C'est quand je pose le rituel "vous prenez des médicaments actuellement?" que je lève le lièvre...
"Ah non, plus maintenant, j'ai tout arrêté quand j'ai su que j'étais enceinte.
- Ah? ... Et avant?
- Bah, de l'Antidépressor, du Benzodiazépix, du Méga-Costaud-Neuroleptic et du Subutex.
- Ah oui, quand même. (réaction orale mesurée alors que j'ai failli tomber de ma chaise) Qui vous prescrivait tout ça?
- Mon psychiatre.
- Vous le voyez toujours?
- Ah ben non, c'était le psy de la maison d'arrêt.
- Vous étiez incarcérée? (ouais je sais, question con...)
- Ouais. J'ai fait 5 ans.
(petits rouages dans ma tête... elle a 21 ans, est sortie depuis plusieurs mois, a fait 5 ans de taule, elle avait donc 15 ans quand elle a été incarcérée... Je ne savais même pas que c'était possible)
- Vous voulez m'en parler?
- Non.
- Ok."


Je l'invite à passer dans la pièce d'examen. 
Aparté
La plupart du temps quand les femmes ont un suivi gynéco (au sens large du terme, hein, ça marche aussi c'est une SF ou un MG qui les suit!) et qu'il n'y a pas de souci particulier, je ne fais pas d'examen au spéculum ni de TV lors de cette consultation. Je me contente de les peser, de palper/mesurer l'utérus, d'écouter les bruits du coeur foetaux. En revanche, en l'absence de tout suivi récent, je réalise un examen au spéculum.
Fin de l'aparté
Elle se pèse, s'installe sur la table d'examen. Je palpe un peu son ventre, on écoute le coeur du foetus. Je lui explique que je vais l'examiner, et pourquoi. Elle répond Ok, mais quand je m'approche d'elle je la vois se crisper, resserrer les genoux. 
Et là ça fait tilt dans mon cerveau. 
"Vous avez subi des abus sexuels?
- Ouais.
- Vous préférez que je renonce à vous examiner aujourd'hui?
- Non, c'est bon, allez-y."
Je l'ai donc examinée quand même, en essayant d'être la plus douce possible. Avec l'impression malgré tout d'être un éléphant dans un magasin de porcelaine.


J'ai beaucoup pensé à cette jeune femme par la suite. Je l'ai revue en fin de grossesse, toujours aussi détachée, déconnectée en apparence (ce qui dominait c'était le "ras-le-bol d'être grosse et d'avoir mal au dos").
Entre temps j'avais contacté son médecin traitant que je connaissais un peu, histoire d'être sûre de maintenir un lien, de ne pas la laisser "dans la nature".
Par ailleurs, j'avais vu avec la sage-femme cadre et l'assistante sociale pour qu'elle puisse bénéficier d'une hospitalisation post-natale en unité Kangourou (son détachement m'inquiétait un peu pour la mise en place du lien mère-enfant... sans parler de ses antécédents d'addiction et de prise de psychotropes!)
L'accouchement s'est déroulé normalement, le séjour à la maternité s'est bien passé.
Par la suite j'ai eu de ses nouvelles par son médecin généraliste, ça se passait bien avec sa petite fille, elle avait emménagé avec le papa...


Je l'ai revue, près de 2 ans après notre consultation. Toujours un peu fruste et pas le contact facile.
Mais beaucoup plus épanouie, visiblement. Plutôt bien dans ses baskets de femme et de maman. Et pourtant, c'était loin d'être gagné au premier abord. 


Je pense à elle régulièrement. Je n'aurais pas parié un kopek sur cette évolution quand je l'ai rencontrée la première fois.
Je suis heureuse de m'être trompée.




samedi 31 décembre 2011

Les cumulardes (1) : Alice

...ou comment certains patients me laissent désemparée.

Alice a 31 ans. C'est une nouvelle patiente du cabinet du Dr Alabourre, fluette et juvénile avec sa queue de cheval et ses grosses lunettes.
Elle vient pour le suivi de sa troisième grossesse, elle a déjà une fille de 12 ans et un petit garçon de 18 mois. Elle a un accent cauchois à couper au couteau, passe sans avertissement du vouvoiement au tutoiement. Elle vit depuis peu dans un foyer d'accueil mère-enfant.

On fait le point sur son dossier médical, sérologies, échographies... Je pose la question des antécédents, elle me dit qu'elle "fait de la tatycardie, c'est de famille, mon père a l'angine de la poitrine".
Elle m'explique aussi pourquoi elle a quitté son conjoint : "J'ai parti du père passqu' i m'aurait tapé s'il aurait su qu'j'étais enceinte, et aussi mon fils".
Tout en continuant à discuter, je passe à l'examen clinique : pesée, pression artérielle, mesure de la hauteur utérine. Et là elle me demande : "A quoi çô sert qu'tu m'sures de la nénette au nombril?" J'explique, je prends le Doppler foetal en disant qu'on va écouter le coeur du bébé ; on entend un beau petit galop, je dis "parfait", et elle : "Ohlala moi j'y comprends rien à ça!"
On revient s'asseoir au bureau, elle me réclame du Forlax parce qu'elle est constipée "depuis des années, rapport à un viol que j'ai eu".
Elle veut aussi, pour son fils, une ordonnance pour réaliser une carte de groupe sanguin. J'exprime ma surprise, elle commence par dire que c'est la crèche qui réclame, puis m'avoue que c'est parce qu'elle pense que le père biologique n'est pas son conjoint de l'époque, parce qu'elle a "connu" quelqu'un d'autre et qu'à la maternité ils lui ont dit que son fils ne pouvait pas être de son conjoint à cause du groupe sanguin (sic).
Je lui propose de la revoir avec son fils le lendemain, parce qu'on avait déjà très largement débordé sur l'horaire de la consultation suivante, et qu'avec les trésors de pédagogie à déployer pour lui expliquer des choses simples je sentais que j'aurais besoin de temps...

Elle revient le lendemain avec le fiston. Elle commence par sortir un résultat de groupe sanguin le concernant ; il est B, elle est AB, tout va bien, je ne vois pas comment conclure quoi que ce soit quant à la paternité supposée du petit. "Oui, mais comme y'a qu'une détermination c'est pas sûr!", me répond-elle.
Je demande s'il a des problèmes de santé:
"Non, sauf que des fois il fait des convulsions.
- Ah quand même, c'est quand il a de la fièvre?
- Ben nan, c'est quand on le force à dormir, i'veut pas alors à force de pleurer il s'étrangle et il devient tout mou*. Alors on est obligés de le secouer pour qu'i'r'vienne."
Et là, je n'ai pas pu m'en empêcher, je crois que j'ai presque crié :
"Ah non, mais faut pas le secouer, hein!"

Au temps pour la pédagogie...

* ce qu'elle décrit est très évocateur de spasme du sanglot, pour les non-initiés à ce problème spectaculaire mais rarement grave pour l'enfant - contrairement aux convulsions.


jeudi 29 décembre 2011

Allô? Ici c'est Kafka...

"Bonjour docteur, c'est le secrétariat. J'ai madame R. en ligne, pour son mari.
- Ok, passez-la moi. (bip-bip) Allô?
- Oui, docteur, je vous appelle parce que mon mari a mal à l'oreille, pis il a des remontées de bile et des fois la diarrhée mais pas trop.
- Ouiiii? (circonspecte)
- Bon, c'est passque l'pharmacien, i'veut rien y donner pour son oreille à cause qu'il a des autres médicaments. Alors est-ce que vous pouvez lui faire une ordonnance?
- Mais madame, je ne sais pas ce qu'il a votre mari, il faudrait qu'il vienne consulter pour que je l'examine!
- Ah bon? (indignée) Mais on en sort la semaine dernière du docteur!
- Il avait mal à l'oreille votre mari, la semaine dernière?
- Ben non!
- Donc je ne peux pas deviner ce qu'il a, il faut consulter...
- (m'interrompant, très énervée) Bon si c'est c'est comme ça je vais demander au pharmacien qu'il me donne quand même quèquechose!"

Biiiip-biiip-biiip...

Moi en train d'essayer de me reconcentrer sur le patient présent à ce moment...
(et en vrai, dessin de Kafka par Crumb)

mercredi 28 décembre 2011

Mais bien sûr...

...c'est très exactement ce que j'ai pensé quand j'ai découvert ceci parmi le courrier du jour :


Je vous traduis le post-it parce que la photo n'est pas très nette : 
"Bonjour Docteur, pouvez-vous refaire les ordonnances de Maman + la mienne, avec quelques modifs. D'avance merci et très bonne fête."

Je passe sur la longueur des ordonnances, les maladies sous-jacentes qu'elles révèlent, les associations de médicaments inutiles voire dangereux au long cours.
Ce qui m'a sidérée, c'est ce côté "je ne doute de rien, le docteur va me refaire l'ordo sans me voir, et avec les corrections en rouge je vous prie"...

J'ai contacté la patiente pour l'informer que je ne ferais pas les ordonnances sans les voir, elle et sa mère ; il s'avère qu'elle ne savait pas que ma remplacée était en vacances, et qu'elle attendra son retour. Il semblerait qu'elles aient un "arrangement" et que si la patiente et sa mère estiment qu'elles n'ont pas besoin d'une consultation, leur médecin traitant renouvelle les ordonnances sans autre forme de procès.

Je ne sais pas quelle est la réalité de cet "arrangement". Mais quand bien même, cela révèle un mode de fonctionnement que je trouve plus que limite... J'ose espérer que je n'en arriverai jamais là, pour gagner du temps ou passer une carte Vitale facilement. 
Suis-je utopique?









samedi 5 novembre 2011

On n'y croit pas trop

Un billet médical, pour que ce blog mérite - au moins un peu - l'ensemble de son titre, et pour Jaddo qui n'aime pas les blogs culinaires et qui m'a fait le plaisir d'une dédicace très sympa de son bouquin (même si elle a failli m'oublier - sans rancune!)

A la fin de mon internat de médecine générale (je suis une vieille, à l'époque on appelait encore ça "résidanat"), j'ai fait un stage de 6 mois en maternité. C'était un stage très coté, qu'on ne pouvait avoir qu'en dernier semestre ; coté parce que formateur en gynécologie et obstétrique, et aussi, pour certains, parce qu'on pouvait assez facilement se la couler douce, rentrer chez soi avant 15 heures et bosser sa thèse...
Parce qu'un certain nombre de mes co-internes étaient dans cette dernière optique, ils s'étaient battus pour les unités de suites de couches, tandis que j'avais hérité de l'unité d'hospitalisations prénatales (dite "la patho") ; à juste titre, j'avais estimé que j'apprendrais davantage qu'en faisant des ordonnances de sortie stéréotypées (rééducation du périnée, pilule, bromocriptine...)
J'ai appris énormément lors de ce stage, essentiellement grâce aux sages-femmes - l'obstétricien responsable de l'unité étant à peu près aussi saisissable que l'Arlésienne... J'ai aussi découvert un univers qui continue de me passionner, celui de la périnatalité.

Et c'est aussi lors de ce stage que j'ai fait un des diagnostics dont je reste le plus fière.

Cet après-midi-là, l'interne de garde m'appelle: "J'ai vu une dame aux Urgences, elle est à 31SA, elle a un peu de fièvre et dit qu'elle est gênée pour respirer, je suis pas sûre qu'il faille la garder, mais tu connais le chef, il est flippé..."
Il amène la patiente dans sa chambre, m'apporte le dossier en disant "Je pense que c'est juste une bronchite, faudra peut-être la mettre sous amox..."
Comme je suis une interne psychorigide qui n'aime que ses observ' et pas celles des autres consciencieuse, je vais voir ma nouvelle patiente illico pour faire connaissance et rédiger son observation d'entrée. Quand j'arrive dans la chambre, elle est en train de ranger ses affaires ; elle est aussi essoufflée que si elle venait de courir un 100m, ce qui fait tinter ma sonnette d'alarme - des femmes enceintes un peu poussives j'en ai vu, mais là c'est vraiment une "dyspnée au moindre effort".
Je lui demande de se rallonger, je commence l'interrogatoire, et j'apprends que la dyspnée a commencé brutalement quelques jours auparavant, en même temps qu'une douleur "là sous les côtes à droite" et une "petite fièvre" à 38°C. L'auscultation pulmonaire est sans particularité, elle ne tousse pas du tout (autant pour la "bronchite" de mon collègue...) et est tachycarde.
Là c'est carrément le tocsin dans ma tête, l'impression de voir clignoter en gros devant mes yeux "EP, EP, EP..."

[Aparté pour les non médecins : l'EP, ou embolie pulmonaire, fait des partie de ces pathologies redoutables qui sont souvent évoquées sur un faisceau d'arguments plutôt que sur un signe clinique spécifique. Dyspnée, douleur thoracique, tachycardie et fébricule, dans le contexte de la grossesse (qui augmente le risque thrombo embolique), ça commençait à faire beaucoup... Fin de l'aparté.]

J'ai demandé à ma patiente de rester allongée, j'ai réalisé un ECG et une gazométrie artérielle. Je ne me souviens plus des résultats exacts de ces examens, je crois que ce n'était pas tout à fait "comme dans les livres", mais suffisamment évocateur pour que le médecin des soins intensifs de cardiologie que j'ai contacté dans la foulée croit aussi à l'embolie pulmonaire et accepte le transfert.
Je prescris de l'héparine pour ma patiente, commence à préparer les papiers pour le transfert. Là dessus arrive l'interne de garde, qui avait dû entendre la nouvelle par Radio-Couloir ; un peu penaud, il me propose de prendre le relais pour l'organisation du transfert avec le SAMU (la mater' est à quelques kilomètres du CHU), vu qu'il est 18h30 passées. 
Je rentre donc chez moi, soulagée d'avoir bien fait mon boulot.

Le lendemain j'appelle en cardio pour avoir des nouvelles, la patiente a passé un angioscanner, qui a confirmé une embolie pulmonaire bilatérale sur les troncs proximaux - elle a eu chaud, donc, et nous aussi.

En revanche le cardiologue trouve qu'on a été un peu légers de ne pas médicaliser le transfert de cette patiente-bombe à retardement (elle est arrivée dans une simple ambulance aux Soins Intensifs). Alors que je m'apprête à décrocher le téléphone pour appeler le régulateur du SAMU et avoir le fin mot de l'affaire, la sage-femme m'arrête, et me dit qu'elle a entendu A., mon cher ami l'interne de garde, dire au régulateur "Naaan, mais j'suis d'accord avec vous, on n'y croit pas trop, une ambulance devrait suffire."

Jamais je n'ai eu autant envie d'étrangler un collègue. A quoi ça sert de travailler consciencieusement si les autres viennent tout foutre en l'air?

jeudi 8 septembre 2011

La barrière de la langue

Aïcha a 25 ans, est arrivée d'Irak il y a quelques années. Elle vient en consultation accompagnée d'une amie qui fera office d'interprète; la secrétaire du cabinet les a orientées vers moi car elle sait que je consulte en maternité.
Au traditionnel "Qu'est-ce qui vous amène?", l'amie me répond "Elle vient parce qu'à la maternité ils ne lui donnent que des mauvaises nouvelles, ils disent que le bébé a un problème de liquide mais il ne font rien, alors elle veut changer, être suivie ailleurs".

Je regarde le dossier de plus près. Aïcha est G6P1, comme on dit dans notre jargon : c'est sa 6ème grossesse, elle a perdu 4 bébés à des stades plus ou moins avancés de la grossesse (dont une mort foetale au 8ème mois, pour laquelle il est simplement noté dans le dossier "contexte de guerre") et a donné naissance à un petit garçon il y a un peu moins de 2 ans. C'est dire si cette nouvelle grossesse est infiniment précieuse.
Je regarde les échographies. Sur celle du 1er trimestre, la clarté nucale a été mesurée à 3mm, ça s'annonce pas terrible. Elle a semble-t-il refusé le dosage des marqueurs sériques.
Une écho de contrôle quelques jours plus tard montre cette fois des malformations cardiaques et cérébrales, ainsi qu'un oligo-amnios ; le contrôle suivant confirme tout cela, avec l'apparition d'une anasarque foetale, des anomalies des membres, un foetus quasiment immobile... Et l'échographiste conclut : "Aspect en faveur d'une aneuploïdie 13 ou 18. Indication d'amniocentèse". Gloups.

Un peu assommée, je demande à Aïcha si elle a fait l'amniocentèse. L'amie m'explique qu'elle ne veut pas, qu'elle a peur de faire mal au bébé.
Aïcha devient volubile, l'amie traduit qu'elle veut aller au CHU, voir un professeur qui saura soigner son bébé. 
J'essaye, toujours par interprète interposée, d'expliquer à Aïcha qu'il n'y a pas de traitement à lui proposer, que son bébé va très mal, et que tout ce qu'on peut faire c'est essayer de savoir de quoi il retourne exactement ; j'ai envie de pleurer, parce je perçois la violence de ce que je suis en train de lui dire, et par frustration de ne pas pouvoir mieux communiquer.
Je vois au regard de l'amie, à sa façon de parler à Aïcha, qu'elle a saisi la situation. A son tour elle s'enflamme, j'ai l'impression qu'elle essaie de la convaincre, mais de quoi? De subir l'amniocentèse, de renoncer à espérer un traitement?

Mais Aïcha est arc-boutée sur ses positions. Elle veut voir un professeur. Alors j'appelle la secrétaire de gynéco au CHU, lui explique la situation. Elle me dégotte un rendez-vous avec un des PU-PH trois jours après ; j'ai envie de lui envoyer un bouquet de roses.
Je rédige un courrier, le tend à Aïcha. Elle lâche un commentaire à son amie, qui me regarde avec l'air de s'excuser avant de traduire qu'elle trouve que trois jours c'est trop long, que son bébé pourrait mourir d'ici là.

Comment lui dire que trois jours, ou trois semaines, ça n'aurait rien changé?

mercredi 13 juillet 2011

Should I stay or should I go?

(Tintintintin tintintintin, zoïnk zoïnk. Oups. Désolée. Pardon, The Clash)

Hésitation. Tergiversations.

Ce cabinet médical convient bien à mon organisation familiale. Jours réguliers, charge de travail honorable sans être écrasante, horaires souples, pas trop loin de la maison.
J'ai râlé (qui a dit beaucoup?) à propos de la non-éducation des patients, des consultations pour un nez-qui-coule, de l'incurie autour de la ponctualité.
Mais j'ai aussi redécouvert le contact humain, l'empathie, la satisfaction de pouvoir, humblement, aider les gens. Les joies et les agacements du "médecin de famille" cher à mon coeur, tout ce qui m'avait manqué quand je travaillais en Centre de Vaccinations Internationales.
Et puis, j'ai découvert une autre façon d'exercer, moins solitaire, grâce à Twitter, et à ces copains-médecins que je ne connais que par un pseudo, toujours prompts à partager leur expérience, apporter un soutien ou renchérir sur un coup de gueule.

Oui, mais voilà.

Certaines choses me déplaisent dans le fonctionnement de ce cabinet. Certaines d'ordre médical, d'autres non.
L'un des associés, appelons-le Docteur Alabourre, est assez soupe-au-lait, et parfois de mauvaise foi. Ceci mis à part, il est plutôt de bonne compagnie, et surtout, sa façon de travailler est assez proche de la mienne (à quelques exceptions près - mais il est ouvert à la discussion).
L'autre associée, appelons-la Docteur Céfixime, est celle qui me pose problème(s).

Et là je me dis que ça coince vraiment, parce que je ne sais même pas par où commencer.

Il y a les divergences médicales : les angines mises presque systématiquement sous céfixime (antibiotique qui n'a pas l'AMM dans cette indication, sans même parler de l'intérêt d'un antibio systématique pour une angine...) ; les antibiothérapies larga manu, et presque toujours avec des produits à spectre bien trop large (beaucoup de fluoro-quinolones, notamment) ; les vaccinations (penta ou hexavalent et pneumocoque) commencées avant 2 mois, sous la "couverture antalgique" d'un suppo de paracétamol administré 3 minutes avant (niveau de preuve : abyssallement nul) ; les pratiques d'un autre temps ("ah ça, on ne peut plus l'allonger sans qu'il hurle sur la table d'examen depuis que le Dr Céfixime l'a décalotté de force").
Il y a des attitudes discutables vis-à-vis des patients (être systématiquement en retard au début des consultations ; facturer une C pour le moindre dépannage d'ordonnance) ou des secrétaires, qu'elle envoie faire ses courses perso ou dresse l'une contre l'autre avec des petites phrases.
Il y a eu des petites mesquineries, comme le routeur qu'elle a emmené pendant les vacances de Noël, me privant de tout accès internet (d'après elle ça ne marchait pas bien et elle l'avait emmené pour le tester - de mon côté je n'avais rien remarqué).

Et puis, la semaine dernière, le cabinet a été "visité", sans effraction, et des espèces ont disparu du secrétariat (pourtant fermé par une porte à code) ; un peu plus de 300€, correspondant à plusieurs jours de mon remplacement. Ambiance plombée, évidemment, et suspicions à tous les étages, entre les 2 secrétaires qui se partagent le planning, envers la femme de ménage et une ancienne secrétaire partie il y a quelques mois dans un contexte tendu.
Et voilà Docteur Céfixime qui rentre de vacances, et qui me demande, la bouche en coeur : "Et pour l'argent qui a disparu, on fait comment? On partage? Parce que bon, partir en vacances et perdre de l'argent, c'est déplaisant, hein..."

Bref.
Il y a des choses bien plus graves dans la vie, j'en suis consciente.
Mais mettre par écrit mes états d'âme sur ce sujet m'aide à y voir plus clair, et m'aidera peut-être à me bouger pour changer, moi qui suis la reine de la procrastination. Après tout, c'est aussi à ça que sert un blog. Non?

Après toutes ces années (presque 10 depuis que j'ai fait mon premier rempla!) je crois que je suis enfin prête à m'installer.


vendredi 27 mai 2011

Chronique de la misère ordinaire

Je remplace régulièrement en périphérie d'une grande agglomération ; une "banlieue", comme on dit. Pas le genre qui passe à la télé parce qu'on y brûle des voitures, non. 
Une banlieue "populaire" comme disent certains en plissant les narines. Près de la moitié des patients que je vois sont bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle.
Au bout de 6 mois, il y a toujours des journées qui me font halluciner.

Prescillia* a 15 ans, elle est en 4ème. Elle vient accompagnée de sa grand-mère et de son frère. Elle ne va plus au collège depuis une semaine parce qu'elle a mal au ventre. Sa grand-mère me précise qu'elle "ne voit plus" - ce qui signifie qu'elle est en aménorrhée, en patois normand.
Je me (et lui) pose la question d'une grossesse.
"Ah ben, nan, j'prends la pilule. Pi j'l'oublie pô, j'mets mon portab' à sonner.
- Qu'est-ce que tu prends comme pilule?
- (Sourire niais) Chais pô, un nom bizèrre.
- (Intervention du frère)  C'est des bonbons roses et blancs."
Bon, on est bien avancés...
Je fais sortir le frère pour palper le ventre de la demoiselle. Elle me précise en ricanant que ça la pique "lô, en bas" .
Mamie intervient :  
"Elle a souvent la nénette rouge, alors juis mets d'la vaseline." L'intéressée, re-sourire niais "ou des fois d'la pommade de bébé".
Un peu estomaquée, j'ai conclu à une mycose et prescrit le traitement ad hoc. Après coup je me suis demandé si je n'étais pas passée à côté de quelque chose de plus grave, inceste ou abus sexuel.

Quelques jours plus tard j'ai recontré la mère de Prescillia : 48 ans, 108kg pour 1m60, des couettes en berne, un marcel avec dessin pailleté et une mini-jupe au bord de l'implosion. L'examen de ses orteils tenait plus de l'archéologie que de la médecine, quant à l'odeur...
Et je me suis dit que, décidément, on ne partait pas tous avec les mêmes chances dans la vie.

Le même jour que Prescillia, j'ai vu Roberto* : ‎50 ans, ouvrier du bâtiment. Réponse au rituel "Qu'est-ce qui vous amène?
- Ben su'l'chantier, j'ai forcé pour soulever une porte et mon dos a craqué.
- Mais pourquoi avez-vous dû forcer?
- Ben pour voir si elle était lourde."
Verdict : eh oui, elle était lourde. CQFD. Antalgiques, myorelaxants, repos. Et un peu de bon sens, non?

Toujours le même jour, Josiane*, ‎50 ans. Un lourd passé d'alcoolisme, un tabagisme non sevré (20 à 30 cigarettes par jour mais "c'est ça ou la boisson"). Elle pèse 41kg, se nourrit exclusivement de Fortimel, Nutrimix et autres NutraCake. Constipée. Des légumes, des fruits? "Ben nan c'est pas remboursé, faut bien que j'garde mes sous pour qu'les gars y puissent manger leurs pizzas." (et accessoirement s'acheter des SmartPhones et des fringues hors de prix...)

Un peu plus tard, Ravi*, ‎27 ans. 
"J'viens pour mes allergies.
- Quel est le symptôme qui vous gêne le plus?
- Bah l'allergie, hein." (genre mais vous êtes sourde ou stupide?)
Boooon.

Dans le festival de ce jour-là, j'ai vu aussi, pour un rhume ou autre motif banal, Ryan*, 9 ans 1/2, en très net surpoids.
Sa mère me demande de prescrire une prise de sang pour voir s'il a du diabète ou du cholestérol.
Je lève le sourcil, demande pourquoi.
" Parce qu'on n'arrive pas à le faire maigrir, mais pourtant on fait attention à ce qu'il mange, hein!
- Il fait du sport?
- Oui, oui, avec l'école, et aussi du foot."
Je refuse la prise de sang, en expliquant pourquoi à la maman. 
Là-dessus j'entends Ryan marmonner quelque chose à sa mère, qui lui répond "mais oui tu vas l'avoir ton croissant".
Il était 10h30. Heureusement qu'elle venait de me dire qu'il ne grignotait pas entre les repas.

Ce n'est pas comme ça toutes les semaines. Tant mieux, parce que c'est légèrement désespérant.
Mais ce genre de journée, paradoxalement, contribue à me donner envie de m'installer. Peut-être que "mes" patients n'auront pas plus de bon sens ou de neurones en état de marche. Au moins ce seront "les miens", que je ne verrai pas juste "en passant parce que le docteur il est pas là le jeudi".
Je me dis que pourrai essayer de les éduquer, de faire oeuvre de pédagogie... J'essaye déjà de le faire en temps que remplaçante, mais c'est plus décousu, et pour l'instant je n'en observe pas les résultats.

Utopie? Idéalisme? Peut-être... mais ça compense les jours où je me sens devenir cynique.





*tous les prénoms sont fictifs.